top of page

Les Grand-Places, un café qui a par moments donné du grain à moudre

Dernière mise à jour : 14 oct. 2022

«L’Irish», à Fribourg, c’est bientôt fini! Le mythique pub irlandais du centre-ville, au pied de l’ancien Eurotel, va prochainement fermer ses portes. L’établissement public aux emblématiques volets bleu et blanc redeviendra en fin d’année le Café des Grand-Places avec une nouvelle équipe à sa tête: le trio Valentin Jaquet, Rémi Castella et Gilles Ancion, qui gèrent déjà plusieurs établissements bullois, dont la boîte de nuit Globull et le bistrot Le Buro, et qui vont aussi reprendre le Soussol en ville de Fribourg. Après une rénovation sommaire des locaux, dans le courant de l’automne, le restaurant rouvrira ses portes en décembre. Le concept des repreneurs prévoit une ambiance bistrot-brasserie au rez-de-chaussée et un bar à cocktails à l’étage, avec des animations durant le week-end.


Syndic de la Ville de Fribourg, propriétaire de cette bâtisse séculaire, Thierry Steiert se réjouit que les repreneurs aient pris la décision de «faire vivre cet endroit durant toute la journée et pas seulement en soirée» et que leur projet «respecte parfaitement l’esprit du réaménagement prévu aux Grand-Places». A plus long terme, les nouveaux locataires entendent par ailleurs revaloriser l'édifice via d'importants investissements. La terrasse sera notamment agrandie.


L’ancienne Maison du tir devient auberge


Sis aux Grand-Places, le café éponyme reconstruit entre 1765 et 1767 sur la base des plans d’un architecte d’origine hongroise, Johan Paulus Nader, a eu une riche histoire, très mouvementée par moments. Pendant des décennies, il a fait office de «Maison du tir» jusqu’à ce que les dernières cartouches soient tirées sur le site en 1899. A la suite du transfert du stand aux Neigles, le bâtiment, racheté par la commune pour la somme de 60'000 francs, a été réaffecté en auberge communale. Pendant un peu plus de 80 ans, ce restaurant aura accueilli d’innombrables lotos, assemblées générales, réunions de contemporains, mises aux enchères, ventes directes et même des expositions de champignons, d’oiseaux, de lapins ou encore de reptiles.



L’endroit, tour à tour menacé de dispartion puis maintenu lors de l’élaboration des plans de quartier successifs de la Gare Sud, a été exploité par des tenanciers qui ont parfois marqué les lieux de leur empreinte. Le 1er décembre 1951, le quotidien «La Liberté» publie ainsi une petite nécrologie après le décès à l’âge de 64 ans d’Antoine Joller, qui souffrait de problème de cœur. Elle rappelle à cette occasion que le populaire patron des Grand-Places était très connu dans les milieux sportifs et les corps de musique de Fribourg. Tony, comme l’appelaient ses nombreux amis, était président d’honneur du Vélo-Club ainsi membre d’honneur de la Landwehr et de la Freiburgia (société de gym). Par ailleurs, il était évidemment membre actif de la Section Fribourg-Ville de la Société cantonale des cafetiers et restaurateurs. Cette même société a voulu par la suite décerner le titre de membre honoraire à l’un des successeurs d’Antoine Joller, Alfred Auderset réputé pour sa «moustache conquérante» et précédemment exploitant du Café-restaurant des Merciers, mais ce dernier a refusé poliment cette distinction.


Menacé de disparition en 1981


C’est en 1981 que le Café des Grand-Places connaîtra un premier rebondissement. Le syndic de l’époque, Lucien Nussbaumer, annonce que l’établissement devrait fermer provisoirement ses portes au début de l’année suivante en vue accueillir l’Union des Banques Suisses (UBS) jusqu’en juin 1984. La banque souhaite en effet loger ses services dans ce «vieux bistrot», qu’elle veut rénover à ses frais, pendant la construction de son nouveau bâtiment entre les rues Saint-Pierre et Abbé-Bovet, un projet qui a par ailleurs condamné un autre restaurant de la ville de Fribourg, le Café Saint-Pierre, démoli pour permettre l’agrandissement de l’UBS qui, à la suite du déménagement de la Caisse hypothécaire à la rue de Romont dans des locaux occupés notamment par le magasin «Nouveautés Georges», a racheté dans la foulée l’ancien bâtiment de cette dernière, à la rue Saint-Pierre pour pouvoir disposer de suffisamment d’espace.


A la veille de Noël, la banque annonce toutefois brutalement qu’elle renonce à son idée de déménager provisoirement au Café des Grand-Places. Du coup, l’avenir de ce bâtiment revient au cœur du débat. Appuyé par 3000 signataires, le groupe «Bistro», dont les initiateurs (dont l’architecte Jean Pythoud) veulent «éviter que le centre-ville devienne un quartier fantôme dès la fermeture des bureaux», lance une pétition pour demander le maintien et la rénovation de cet établissement fermé depuis le 23 décembre 1981 à la suite du départ de sa tenancière, une certaine «Madame Zurkinden». Un vœu qui sera exaucé par le Conseil communal de la ville de Fribourg.


Un projet devisé à 2 millions qui divise


Le 10 juillet 1982, «La Liberté» révèle que ce dernier a mandaté un bureau d’ingénieur en vue de sa restauration dont il a accepté l’avant-projet. Ce dernier prévoit que «le rez-de-chaussée continuera à être exploité en café – «pas sélect», précise le Conseil communal – tandis que des salles se prêtant à des activités culturelles, ainsi qu’à des réunions de société, seront aménagées au premier étage, sans scène ni décors, et dans les combles à disposition du service «Culture et tourisme» de la ville de Fribourg». Le 23 novembre de la même année, l’exécutif local présente le devis de son projet: près de 2 millions seront nécessaires, aménagements extérieurs compris, pour assainir cet immeuble classique et lui redonner un aspect «début du XXe siècle».


Si le Conseil général accepte à la fin janvier 1983 l’octroi du crédit à une large majorité de 57 voix favorables au projet, deux élus libéraux s’opposent à cette dépense qu’ils jugent «trop coûteuse» – 12 autres conseillers s’abstiennent par ailleurs de voter – et ces derniers se feront par la suite les fers de lance d’un référendum lancé contre ce crédit de deux millions pour la rénovation du Café des Grand-Places. Cette démarche rencontrera un «succès étonnant», selon les termes de ses initiateurs: alors qu’il n’en fallait que 2161, pas moins de 2550 signatures ont été récoltées en trois semaines alors que le délai de 30 jours. Et cela, «bien qu’on nous ait empêchés par tous les moyens de récolter ces signatures», précisera Marc Waeber, lors du dépôt de la demande de référendum à la Maison de Ville. Les citoyens de la ville de Fribourg seront donc appelés aux urnes le 26 juin 1983 pour sceller le sort de l’établissement sis aux Grand-Places 12.


Le peuple dit non au crédit par deux voix contre une


Ce qui ressort des débats, c’est que contrairement à ce que certains réclamaient la survie du bâtiment doit être assurée mais à moindre coût. «Cet immeuble a une certaine valeur, sa destruction est exclue. Et sans ce café, l’Eurotel est encore plus laid», a-t-on notamment entendu à la veille du scrutin communal. «Deux millions pour restaurer une «auberge communale», c’est trop d’argent pour peu de résultats», estime ainsi l’association Pro Fribourg qui, tout comme le PCS et le PSO, incite à voter non. «Le café giclé», titre «La Liberté» au lendemain du vote. «Dans une proportion de deux contre un, les citoyens de la ville de Fribourg ont refusé hier un crédit de près de deux millions de francs pour la rénovation du Café des Grand-Places. Aucun quartier n’a dit oui et le taux de participation a été faible (16%)», précise le quotidien fribourgeois.


Le Conseil communal – son syndic Claude Schorderet en tête – est donc contraint à remettre l’ouvrage sur le métier. En janvier 1984, il revient alors avec un nouveau projet, dont le montant a été sensiblement revu à la baisse (812 000 francs), qui prévoit également la création sur le site d’une place de jeux financée par la Jeune Chambre Economique et d’un monument à la mémoire du pilote automobile Jo Siffert. «Moins cher, ce sera difficile car seuls les travaux strictement nécessaires seront entrepris: restauration des cuisines, sanitaires et cave, travaux de peinture dans les autres locaux. La façade subira également quelques améliorations, relève l’exécutif local. Par contre, l’idée d’une salle dans le grenier est abandonnée.»


Le Cabaret Chaud 7 aux commandes


Le lundi 21 mai 1984, après avoir «longuement tergiversé», le Conseil général de la ville de Fribourg a finalement accepté le crédit pour la rénovation du Café des Grand-Places, un crédit revu à la hausse (875 000 francs) en raison de l’ajout de l’installation d’un élévateur destiné aux personnes handicapées, d’un système de pulsion au rez-de-chaussée et d’un système de ventilation pour la salle du premier étage (d’une capacité de 200 places). Une fois les travaux terminés, qui auront engendré un dépassement de budget de 166 160 francs en raison notamment de la création de WC au 1er étage exigé par le service d’hygiène, au printemps 1985, le Conseil communal met l’établissement en location à partir du 1er juillet. Son annonce parue dans la presse précise que «la préférence sera donnée au candidat proposant une animation culturelle de l’établissement».

En septembre, le parlement de la ville accepte d’ailleurs un crédit supplémentaire de 270 000 francs pour l’aménagement et l’équipement de la salle du premier étage. Exploitant pressenti pour le Café des Grand-Places, le Cabaret Chaud 7 (CC7) avait en effet réservé sa décision, en attendant l’octroi de ce crédit. Représenté par Albert-Vincent Vial, qui possède un certificat de capacité de cafetier, le CC7 peut dès lors signer le contrat de bail pour une durée initiale de 5 ans. La ville lui avait expliqué qu’«elle verrait d’un bon œil une animation dans le genre du Moderne à Bulle (spectacles, orchestres, etc.).» Le 10 janvier 1986, le Café des Grand-Places ouvre le bas d’abord, la salle du premier sera quant à elle inaugurée le 1e février de la même année.


Le CC7 dépose son tablier


Après moins de quatre ans d’exploitation, qui verront notamment l’artiste fribourgeois Gabby Marchand animer tous les jeudis après-midi un Petit Théâtre dédié aux enfants, le Cabaret Chaud 7 décide pourtant de quitter le Café des Grand-Places. Il dépose son tablier parce qu’il ressent une certaine «fatigue financière», confie-t-il à «La Liberté». Chaque année, il doit en effet débourser 15 000 francs pour faire tourner la machine. «C’est vrai, nous ne sommes pas des marchands de limonade, reconnaît Michel Sapin, l’un des membres du trio humoristique fribourgeois. Surtout, l’organisation de spectacles, quand on n’a pas le sou, est épuisante. Comment voulez-vous avec une garantie communale de 10 000 francs par an financer la publicité, les éclairages et encore le cachet des artistes?» A l’époque, le CC7 réclamera d’ailleurs plus de 100 000 à la Ville de Fribourg pour le matériel investi dans l’aménagement du restaurant. Après s’être exilé en 1990 à l’Auberge de la Croix-Blanche où il ne présente plus que ses propres productions, dont le spectacle «Les Vieux sont tombés sur la tête», le collectif se dissoudra en 1995.


Durant l’été 1989, le Café des Grand-Places est quant à lui à nouveau mis en soumission par la Ville de Fribourg. Une animation culturelle de l’établissement, dans sa grande salle équipée de quelque 150 m2 avec scène, est à nouveau exigée ainsi qu’une exploitation du restaurant sept jours sur sept. Et parmi les six candidats déclarés, c’est le directeur et administrateur de La Placette (devenue Manor en 2001), Jean-Luc Nordmann, qui en décroche la gérance. «Le bail sera signé ces prochaines semaine», annonce «La Liberté» dans son édition du 2 octobre 1989. La commune, par la voix de Claude Schorderet se réjouit par ailleurs de «ne pas laisser dormir un instrument tel que celui-ci au vu des investissements consentis».


Jean-Luc Nordmann jette l’éponge


L’espoir sera pourtant de courte durée car le nouveau patron des Grand-Places, fondateur par la suite de la revue satirique «Fribug», sera rapidement contesté, notamment à cause de son concept de restauration que certains comparent – «à tort», selon le patron de La Placette – à du self-service. Le syndic se veut toutefois rassurant: «Toutes les clauses du contrat sont respectées. Jean-Luc Nordmann n’exploitera pas lui-même le café, le tenancier aura une patente, habitera à Fribourg, ouvrira sept jours sur sept et la salle du premier étage connaîtra une véritable animation culturelle, pour tous les genres. Enfin, la commune reste propriétaire du café. Donc, aucune emprise à craindre!»

L’idylle se terminera toutefois avant d’avoir commencé. L’homme d’affaires fribourgeois, «fatigué par les pétitions, les courriers de lecteurs, l’hostilité des cafetiers-restaurateurs de la ville et des milieux culturels ou encore par le manque de soutien de l’exécutif local», renonce à mettre son projet à exécution. Au grand regret de Claude Schorderet: «Jean-Luc Nordmann était venu avec un programme sérieux et beaucoup de générosité pour les artistes. Il avait des projets beaucoup plus conséquents que les autres candidats, et ça avait été déterminant.» Les seuls candidats encore en lice – les tenanciers du café Michèle et Marcel Wauthier à cette époque-là – n’ayant aucune envie de prendre des risques par amour de la culture fribourgeoise, le Conseil communal de la ville de Fribourg doit donc se remettre à la recherche d’une solution.


La Spirale se met sur les rangs pour animer la salle


Fin décembre, La Spirale, l’association culturelle qui gère un club de jazz en Vieille-Ville, lui en propose une: la cave de l’Auge se dit prête à animer le premier étage du Café des Grand-Places pour autant que la commune garantisse une couverture annuel de déficit de 40 000 francs et un investissement en sonorisation et matériel de 90 000 francs. Mais la décision de l’exécutif se fait longtemps attendre. Le 17 mars 1990, «La Liberté» dévoile ainsi que le Café des Grand-Places, fermé depuis janvier, est toujours sans tenancier. Avec ce titre accrocheur: «Une salle à déboires.» Candidat miracle, le patron du Café populaire Louis Meyer, s’est désisté au dernier moment parce que «l’établissement ne correspond pas à son attente». Il ne reste donc plus sur les rangs que l’Eurotel, l’hôtel voisin, allié à Jean-Claude Henguely, producteur artistique, animateur de Lumière noire et fondateur de la Jazz Parade, festival de musique actif à Fribourg entre 1989 et 2013.


Finalement, La Spirale est entendue par la Ville de Fribourg. Fin avril 1990, la commune annonce que l’association gérera le haut de l’établissement et que Gérard Cavuscens (35 ans à l’époque), un ancien cuisinier de Frédy Girardet au Restaurant de l’Hôtel de Ville à Crissier, reprendra le bas. Le contrat, signé pour une durée de dix ans, prévoit notamment un menu d’affaires et un menu de dégustation à la carte. Rouvert en mai 1990, le Café des Grand-Places ne vivra cependant pas longtemps sous le règne de Gérard Cavuscens. Il annonce son départ en septembre de l’année suivante, en proposant un groupe de repreneurs. La Spirale, de son côté, se met sur les rangs pour reprendre la gestion globale de l’établissement, en partenariat avec Marianne Blattmann. En octobre 1991, la commune choisit ses nouveaux locataires. Il s’agit de Daniel et Andy Blunschi, Snaiba (Samba) Bounani et Alex Sottaz, tous domiciliés dans le canton de Fribourg. Ecartée de la responsabilité de la grande salle, la Spirale claque la porte. Le café rouvre fin novembre 1993, avec une brasserie populaire au rez. A l’étage, la grande scène a disparu pour laisser place à une plus petite et à un bar. Si la musique subsiste, ce n’est plus forcément sous forme de concerts.


De la cuisine alsacienne au pub irlandais


Ayant perdu le droit à l’ouverture nocturne en décembre 1997 – il retrouvera sa patente B+ quelques années plus tard –, le Café des Grands-Places vivra encore quelques transformations jusqu’à ce jour. En décembre 1997, toujours, la salle culturelle du haut cède ainsi sa place à une brasserie typique dédiée à la cuisine alsacienne avec, aux fourneaux, Pascal Toucas qui avait déjà géré le café du bas dès la reprise par les frères Blunschi. Des animations musicales restent au programme.


En décembre 1999, la société anonyme Café des Grand-Places fait faillite, «en raison d’’un marché capricieux et d’investissements trop conséquents», mais l’établissement géré par Atem Amrouche ne ferme pas se portes. Devenu pub irlandais il y a une vingtaine d'années à l’enseigne du Paddy Reilly’s, dont le siège social est à Bâle, il a encore senti le vent du boulet en 2009. Pour résorber la dette de la ville de Fribourg, le groupe PDC a en effet proposé – sans succès – de vendre le Café des Grand-Places et celui des Arcades. Celui qu’on appelle désormais l’«Irish» s’apprête à vivre une nouvelle métamorphose. A découvrir dès le début décembre.



Comments

Rated 0 out of 5 stars.
No ratings yet

Add a rating
bottom of page